jeudi 11 septembre 2014

Coordonner les imaginaires : mythologie et art ornemental ket

Le célèbre chamane Der’it (Vasilii Egorovich Moseikin) chez les Ket de la Toungouska Pierreuse. Photo N.V.Sushilin, 1926.

Empiriquement un rituel chamanique n’est autre qu’une réunion de personnes autour d’un spécialiste prononçant des chants. De cette scène émerge l’idée, partagée par les participants, que le spécialiste, pourtant visible devant tous, accomplit des actions hors du commun comme voyager dans un espace cosmique éloigné ou se métamorphoser en animal. Comment chamanes et non-chamanes s’y prennent-ils pour coordonner ainsi leurs perceptions et leurs imaginaires ?
Des expériences comme le vol céleste ou la métamorphose ne sont considérées en Occident comme possibles que sous l’effet d’une illusion individuelle : rêve, transe, « état modifié de conscience ». C’est pourquoi bien des interprétations classiques du chamanisme ont accordé un rôle premier à l’expérience extatique privée. Or la particularité du rituel chamanique est précisément de conférer un aspect public à ce qui relève ordinairement d’une perception privée. La question qui nous a occupés lors de ce séminaire est de savoir quels procédés les traditions sibériennes ont créés pour rendre possible une coordination des imaginaires individuels assurant le caractère collectif d’une telle expérience.

Nous avons constaté précédemment dans les traditions iakoutes et khakasses que le rituel chamanique mobilise des indices corporels, visuels et linguistiques permettant de définir le cadre spatial modifié dans lequel l’action se déroule (Stépanoff, 2013, 2014). Chez les Ket du Ienisseï, les chamanes sont considérés comme des humains capables de voler et le rituel chamanique est un moment où tous peuvent assister à leur envol et suivre leur voyage céleste. Dans le cas des Ket, l’iconographie semble jouer un rôle crucial comme cadre de coordination mentale. L’art visuel chamanique a pour environnement un art profane très particulier que nous examinerons d’abord.



L’art graphique ket vient orner des vêtements, des sacs, des ustensiles de bois et d’écorce de bouleau, des objets en os. Il se distingue par son caractère géométrique combinant des unités élémentaires très simples : le trait (I) et le chevron (V) que l’on rencontre aussi la forme d’une fourche (Y). L’union du trait et de la fourche constitue un trident (Ѱ). Les compositions les plus simples font alterner en frise des traits et des fourches ou des tridents (Figure 1 et Figure 2).
Figure 1. Motif ornemental ket (Istoriko-etnografičeskij atlas Sibiri, 1961, p. 386, tabl. 8, fig. 10).
Figure 2. Motif ornemental ket (Anučin, 1914, p. 37, fig.4).

 Ce motif est ancien puisqu’on le voit apparaître sur un tatouage relevé par Johann Georg Gmelin chez les Evenks au xviiie siècle.




Figure 3. Evenk au visage tatoué (Gmelin, 1751, p. 2, 293)





Vasilij Anučin (1914) et Hans Findeisen (1931) indiquent que ces motifs représentent des « personnes » (djiŋ), figurées de façon métonymique par des organes sexuels. Le trait simple est appelé bys « pénis » et le chevron lus « vulve ». La figure 1 représente ainsi une série alternée de sexes féminins et masculins. La fourche est plus précisément une « vulve vide » de jeune fille, alors que le symbole de la femme mariée est un trident, composé de la superposition du symbole de la fille (Y) et de celui de l'homme (I). Ainsi la frise en Figure 2 représente des femmes mariées et des hommes.

La frise sculptée de la Figure 4 fait alterner les symboles masculins et féminins de telle sorte que chaque symbole dessine en creux l’autre sexe.
Figure 4. Boucle de carquois (Anučin ibid.p.42, fig.10).

À partir de ces motifs élémentaires, l’art ket a fait naître des formes ornementales complexes. 

Le motif figurant à l’intérieur des alvéoles dans la Figure 5 est dérivé de celui de la Figure 1. Par une division en fourche des extrémités de la fourche féminine on obtient ce motif ramifié, nommé « bois de renne ». Les alvéoles hexagonales sont obtenues par la fusion de séries opposées de motifs féminins comme on le voit nettement sur la Figure 6 : les extrémités des fourches d’une série s’apparient pour former la base d’une fourche de la série opposée.



Figure 5. Peinture sur bois (Alekseenko 1967:248).




Figure 6. Broderie sur tissu (Anučin ibid. p.85, fig. 106).



Figure 7. Sac à cartouches. Poil de renne brodé sur cuir (Anučin ibid. p. 39, fig. 7).
L’ornement en Figure 7 semblent donner à voir le processus même de transformation et de fusion par lequel des symboles sexuels opposés (en frise en haut) se complexifient en bois de renne et s’unissent pour former des alvéoles servant de cadres à d’autres motifs ramifiés. Les principes de croissance géométrique qui s’appliquent au dessin principal sont ceux mêmes qui dirigent au niveau local l’extrémité de ses ramifications. L’ensemble produit ainsi l’effet d’une figure fractale, c’est-à-dire un ensemble géométrique dont les parties ont la même structure que le tout à des échelles différentes.

Dans cet art graphique se donne à voir un style particulier de croissance : de type rhizomique plutôt que hiérarchique, sans ordre préexistant, sans solution de continuité entre le niveau local et le niveau supérieur. Un même rythme binaire opposant masculin et féminin se reproduit à l’infini, créant un espace fragmenté et touffu. Rien n’empêche d’imaginer que ce réseau poursuive indéfiniment son développement au-delà des limites du support.



L’alternance sérielle de symboles féminins et masculins trouve des échos dans la mythologie ket qui décrit des relations entre les sexes marquées par l’ambiguïté et la violence. Un mythe évoque ainsi une nation ennemie des Ket composée exclusivement de femmes pourvues de vaginae dentatae. Dans un récit épique, le héros doit se garder du sexe-grotte de la « femme-montagne ». Un autre mythe relevé par Anučin (op. cit., 9) décrit ainsi l’origine des hommes : « A l’origine, il n'y avait que des femmes, pas d’hommes. Des phallus poussaient en abondance dans les forêts et les femmes allaient en chercher selon leurs besoins. Une femme en prit un chez elle, mais il se coinça quelque part et ni elle ni ses voisines ne purent le retirer, de sorte que toutes se mirent à pleurer.  Es’ [« Ciel »] leur envoie alors un homme (sans phallus) qui parvient à déloger le phallus. Reconnaissantes, les femmes lui donnent à boire et à manger, de sorte que, ses deux mains étant occupées, l’homme se cale le phallus entre les jambes. S'apprêtant à partir et à le retirer, il s’aperçoit qu’il est collé. Les femmes s’en réjouirent et gardèrent l’homme. Les phallus des forêts sont devenus des champignons – les Russes en mangent. »

Ce mythe attribue aux hommes et aux femmes des origines différentes et accorde aux femmes une existence plus ancienne, indépendante des hommes. Alors que les hommes ont une origine céleste, les femmes paraissent d’origine terrestre, ce qui est concordant avec le caractère féminin de tous les esprits terrestres, appelés des « mères » (Alekseenko, 2001). A l’inverse, les termes désignant des objets verticaux comme les perches et les mâts appartiennent sur le plan linguistique à la classe des noms masculins, réservée aux êtres mâles ou aux phénomènes socialement importants (Alekseenko, 1989). Findeisen rapporte que les hommes ket qu’il interrogea considéraient la femme comme un être « incomparablement inférieur » en raison de son « impureté » (Findeisen, 1931, p. 308).

Ce point de vue masculin était toutefois loin de s’imposer comme une évidence aux femmes. Le solstice d’été était l’occasion d’une fête au cours de laquelle les vieilles femmes dansaient dénudées autour du feu dans le sens solaire, en se tenant les seins et en chantant notamment : « Si ma vulve (lus) avait des dents, elle arracherait le pénis (bys) ». Ces paroles renvoyant au thème menaçant de la vagina dentata évoquent la possibilité d’un retour à l’époque décrite par le mythe où les femmes disposaient de pénis séparés du corps des hommes.



L’union du symbole masculin et du symbole féminin se retrouve dans l’habitat ket, au sommet de la tente. Pour monter la tente, on installait d’abord le foyer, puis on disposait deux grosses  perches diamétralement opposées, l’une en fourche et l’autre droite. Ces deux perches emboîtées, dites « centrales », dominaient toutes les autres et constituaient un trait distinctif de la silhouette des tentes ket (Figure 8). 
Figure 8. Tente ket (Alekseenko, 1967, p. 84, tabl.1 fig.3).

Cette image des deux perches entrecroisées apparaît sur les figurations ket de la tente : un losange surmonté d’un trident (Figure 9). On y reconnaît l’union du trait masculin et de la fourche féminine qui dans l’art graphique forment ensemble le symbole de la femme mariée, ce qui est cohérent avec le fait que la femme devient maîtresse d’une tente après son mariage. Un campement est représenté par une série de losanges.

           
Figure 9. Représentation d’une tente (à gauche) et d’un campement (à droite) sur un tambour chamanique (Anučin 1914 60, fig.57).




Figure 10. Linteau de tente ket (Anučin ibid., p.69, fig. 69).

Le trident est un élément central des ornements gravés des linteaux surmontant les portes de tentes ket. Sur la Figure 10, on reconnaît les losanges représentant des tentes surmontés d’un trident monumental. Sur son linteau, la tente ket portait ainsi une figuration de sa propre structure avec l’union d’une perche féminine et d’une perche masculine, entourée d’éléments cosmiques, la lune et le soleil ainsi que des figures de cervidés.



Les motifs graphiques de l’art profane se retrouvent sur les objets chamaniques, mais intégrés à un schéma orienté, comme on le devine déjà sur les ornements des linteaux de porte. Costume et tambour rituels portés par le chamane établissent un lien entre le graphisme profane et la perception du corps dans ses rapports au monde (Figure 11).





 
Figure 11. Rituel chamanique chez les Ket (photographie de Hans Findeisen, 1926–1927) (Vajda, 2010, p. 135, fig.2).



Figure 12. Tambour ket. Kunstkamera MAE de Saint-Pétersbourg, n° 4034-151 (Oppitz, 2007).



Figure 13. Chamane battant du tambour, dessin ket (Donner, 1933, p. 79, fig. 36).
Sur le tambour reproduit en Figure 12 est dessiné un personnage représentant Dog, le premier chamane, entouré par la lune à sa gauche et le soleil à sa droite – la lune et la nuit sont en effet régulièrement associées à la gauche du corps chamanique et le jour à sa droite (cf Figure 11 et Figure 13 ; (Stépanoff, 2014)). Les cercles concentriques représentent les sept cercles superposés dont est fait le monde supérieur à travers lequel l’officiant se déplace à la suite de Dog. Sur le tambour ket, l’univers est représenté sur le tambour de telle sorte que le nord (le « bas ») se situe dans la partie inférieure de l’instrument (Anučin ibid. 14). Le tambour établit ainsi une coordination entre un les axes du schéma corporel et les axes du monde.

On reconnaît en outre sur ce tambour une alternance de symboles féminins et masculins, représentant certainement les habitants des cercles célestes, les « gens du ciel » (cf. infra). Le premier cercle en partant de l’extérieur porte des symboles masculins, le second des symboles féminins et le sixième des symboles masculins. Or ce mode alternatif qui pourrait reproduire ses oppositions à l’infini n’est plus l’effet d’une croissance spontanée comme dans l’art profane, il est soumis à un schéma spatial hiérarchisé entièrement organisé autour d’un centre dont émanent les cercles concentriques et dont rayonnent quatre lignes droites, comme des routes. La présence du personnage crée un axe vertical opposant un haut et un bas et un axe horizontal entre gauche et droite. Ainsi chaque point du dessin se définit par la position particulière qu’il occupe relativement au centre, comme dans un repère orthonormé. Alors que les compositions ornementales donnaient l’impression d’une croissance spontanée horizontale, on voit ici les symboles disposés selon un ordre supérieur et sans rapport avec leur forme. Au centre du dessin figure un cercle entourant une croix, ce qui constitue un modèle réduit de l’ensemble du tambour. Ici l’effet n’est pas d’une fractale, mais d’une mise en abîme : c’est une même totalité qui est reproduite à des échelles différentes et non plus un principe génératif commun donnant lieu à des excroissances diverses et imprévisibles. Alors que l’art graphique profane offre une multitude de circonvolutions, le dessin chamanique trace des routes nettement orientées vers une destination, introduisant hiérarchie et sens dans l’espace. Les balancements indéfinis des oppositions binaires, entre soleil et lune, jour et nuit, sont soumis dans le tambour à un schéma dirigé par un centre unique. 



Mythologie



Nous avons cité quelques manifestations de la lutte entre les sexes dans la mythologie : de façon plus générale, la cosmologie ket est traversée par des oppositions binaires fortement marquées. Comme le note Anučin, le monde mythologique des Ket est divisé en « deux côtés qui sont en lutte presque permanente à cause de l’homme. » (1914, 9). Les deux principales divinités sont le dieu Es’ (« le ciel », « le climat ») personnification du ciel, principe bienveillant, et la déesse Hosedam « la mère de la mer », appelée aussi Tygylam « mère du bas/du nord », être malfaisant. Hosedam vit sur l’« île morte » à l’embouchure du Ienisseï dans l’Océan arctique, c’est-à-dire dans la partie basse du monde, d’où elle envoie maladies, tempêtes, malheur. Hosedam fait mourir les humains et mange leur âme, mais elle ignore que les âmes ressortent de ses excréments, permettant la naissance de nouveaux humains.

Cette opposition de valeurs n’est pas cantonnée à l’univers mythologique : elle anime également le rapport des Ket à leur géographie. L’espace des Ket est orienté par un axe majeur : le fleuve Ienisseï. Ce fleuve de 4000 km de long coule du sud vers le nord, depuis les monts Saïan en Mongolie jusqu’à l’Océan arctique. Le terme tyha, « bas », « aval », employé absolument désigne l’aval du Ienisseï, c’est-à-dire le nord. Le terme utah, « haut », « amont », désigne absolument le sud. Hosedam étend son domaine macabre et gelé au nord, dans le bas Ienisseï, tandis que le domaine chaud et lumineux d’Es’ est associé au levant et au sud. Le sud et l’est de la tente ket, sont appelés « côté pur » (k’otan). Le sud lui-même (le « haut ») est plus précisément le domaine de Tomam, divinité bienveillante, mère des oiseaux migrateurs et des libellules. C’est chez elle que les oiseaux migrateurs vont hiverner et c’est elle qui les renvoie chaque année vers les Ket à la saison chaude.

Ce schéma spatial global est reproduit au niveau local en différents lieux concrets. Dans chaque campement, les tentes des personnes les plus respectées, comme les chamanes, sont situées « en haut », en amont, tandis que le cimetière est installé « en bas », en aval (Alekseenko éd. 2001, 25). 

Ces oppositions structurales peuvent être résumées dans le tableau suivant : 



Es’ (« Ciel »)
Hosedam (« Mère de la mer »)
Masculin
Féminin
Haut
Bas
Céleste
Aquatique
Bienveillant
Malveillant
Est (levant)
Nord (aval), ouest (couchant)
 

 
La mythologie ne décrit pas ces tensions de façon statique, elle narre des déplacements, des passages d’un personnage d’un niveau à un autre, des chutes, menant à l’instauration d’une séparation définitive.

Ainsi Hosedam était originellement l’épouse d’Es’ et vivait avec lui au-dessus du septième ciel dans un palais transparent. Mais elle quitta un jour son mari pour aller vivre avec Lune (Hyp « grand-père »), c’est-à-dire plus bas dans le ciel. Furieux, Es’ la précipita sur terre où elle erra jusqu’aux zones les plus inférieures du monde. Depuis, elle contrôle le froid, l’obscurité, les maladies (Anučin 1914, 3-4). Hosedam est donc un être féminin céleste déchu.

Selon d’autres récits, Lune était à l’origine un homme ordinaire, Bangdèhyp,« Fils de la Terre ». Épousé par Soleil (être féminin), il vécut avec celle-ci dans le ciel. Hosedam tenta d’emporter Lune pour en faire son mari ; elle le tira par le bras gauche tandis que Soleil tirait le bras droit. Lune se déchira en deux et le Soleil ne retint qu’une moitié sans cœur. Malgré ses efforts, Soleil ne put refaire de Lune un homme entier. Désolée, Soleil jeta Lune de l’autre côté du ciel, dans la partie sombre. C’est pourquoi Lune, sans cœur, est froid. Lorsque Lune est absent du ciel, c’est qu’il rend visite à son épouse terrestre Hosedam (Alekseenko 2001, 57-63). Lune est donc un être masculin terrestre, élevé au ciel, mais déchu et séparé de son ancienne épouse.



Ces traversées entre ciel et terre, qui établissent une disjonction définitive entre des domaines, sont le thème de prédilection de la mythologie ket. Or dans les réalités du monde actuel, les domaines disjoints du terrestre et du céleste exercent concomitamment leurs influences et sur la vie des Ket. C’est le ciel qui donne vie aux humains, mais les humains ont aussi un lien avec la terre et donc avec Hosedam, lien que matérialise leur nombril. L’expression « Les humains ont leur nombril de la terre » est un rappel de leur condition de mortels. 

Tout comme les récits mythologiques, les récits concernant les chamanes tel le grand Dog décrivent un déplacement, mais sans instaurer une disjonction, car le parcours est accompli à travers des domaines dont les frontières et les antagonismes sont déjà stabilisés. Le récit de type chamanique expose les péripéties non d’un exil, mais d’un voyage volontaire, orienté vers un but, tel que faire revivre un défunt, et destiné à être suivi d’un retour. Certains récits typiques énumèrent une série de sept étapes : sept caps à franchir, sept tentes à visiter. Ainsi prend forme un rythme marquant un itinéraire orienté dont seul le dernier seuil est décisif. Or comme le souligne Alekseenko (2001), ces récits sont extrêmement proches dans leur organisation des chants que prononçaient les chamanes au cours de leurs rituels. Le chant chamanique complet se divise en effet en sept parties ponctuées par des « arrêts » (taŋun). Chaque partie correspond à une étape de l’itinéraire du chamane vers le monde supérieur, le passage d’un « cercle » céleste au cercle supérieur. En effet, dans la cosmographie chamanique ket, la terre, entourée de sept mers, est surmontée de sept cercles célestes superposés, et surmonte elle-même sept terres souterraines (Alekseenko, 1967, p. 171 note 10). Les cercles célestes sont habités par des « gens du ciel » (es’deng) disposés par groupes de sept en rangs horizontaux superposés. Au cours de son chant, le chamane est supposé passer d’un rang à l’autre et y recruter des « gens du ciel » pour l’accompagner et l’aider. Sur le plastron chamanique en Figure 14, les lignes horizontales superposées de sept ou six symboles sexuels représentent à l’évidence ces rangs de « gens du ciel ».

Figure 14. Plastron de costume chamanique ket (sans les pendeloques métalliques) (Anučin ibid. 37, fig.4).
 Cette succession d’étapes, dont l’ordre était bien connu des participants du rituel, constituait un élément essentiel permettant à tous de suivre l’action imaginaire représentée par le chamane. Une personne arrivée en retard dans la tente où se menait le rituel pouvait simplement demander à l'entourage combien de stations étaient passées (kunče taŋun?) pour savoir quelle distance le chamane avait parcouru dans le monde supérieur et combien d'auxiliaires il avait rassemblés (Alekseenko, 1981, p. 103). 

Un rythme synesthésique 

Dans le monde d’oppositions binaires de la mythologie commune des Ket, les pratiques chamaniques introduisent un principe de cumulation ponctuée d’étapes et de couches superposées. Si le monde mythique, fait de face-à-face figés, est discret et paire, le monde chamanique, se développant sur un rythme de base sept, est continu et impaire, dans un perpétuel dépassement des oppositions traversées. Les dessins chamaniques contribuent à faire partager à tous une image mentale porteuse d’un principe de correspondance synesthésique entre un rythme visuel et le rythme temporel du chant qui lui-même n’est autre que le rythme cosmique du voyage chamanique à travers les cercles célestes.





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