vendredi 28 novembre 2014

Aux origines de la "révolution du renne": le rôle du comportement animal




Troupeau de rennes, Kamtchatka, Bystrinskij r., 2014. CS

La « révolution du renne » (Krupnik 1993) est une transition globale d’économies de subsistance dominées par  la chasse-collecte vers des économies pastorales dominées par l’élevage de rennes. Ce changement s’est produit chez les populations indigènes de l’Arctique eurasiatique, de la Scandinavie au Kamtchatka à partir du milieu xviiie s., entraînant en général une multiplication par dix des troupeaux de rennes domestiques et par quatre des populations humaines.
Les modèles explicatifs existants mettent l’accent sur des causes climatiques et économiques et sur une décision adaptative des humains. Ainsi selon le modèle de Tim Ingold, les chasseurs auraient volontairement choisi de passer à l’élevage pour faire face à une pénurie de gibier (Ingold 1980). Les sources historiques étudiées par Igor Krupnik (1993) montrent au contraire que la chute des populations de rennes sauvages en Eurasie a suivi et non précédé l’augmentation rapide des troupeaux domestiques.
Les études éco-anthropologiques récentes sur l’élevage de rennes conduisent à envisager le pastoralisme nomade comme un système composite faisant interagir cognition humaine et cognition animale (Dwyer and Istomin 2008). Ainsi il apparaît que l'évaluation des facteurs environnementaux et le choix du moment de la nomadisation relèvent très largement de la compétence de l'animal.
Deux études de cas, l’une issue des Even du Tompo (Rascvetaev 1933), l’autre des Tozhu des Saïan (Stépanoff 2012), permettent de montrer les effets du croît du troupeau sur le système de mobilité. La prise en compte des recherches archéologiques récentes sur les modes pastoraux d’occupation de l’espace (Sommerseth 2011; Bergman, Zackrisson, and Liedgren 2013; Andersen 2011) et l’examen de l’articulation de facteurs écologiques et cognitifs interspécifiques amènent à envisager un nouveau modèle explicatif de la révolution du renne qui accorde un rôle moteur au comportement animal. 

Andersen, Oddmund. 2011. “Reindeer-Herding Cultures in Northern Nordland, Norway; Methods for Documenting Traces of Reindeer Herders in the Landscape and for Dating Reindeer-Herding Activities.” Quaternary International 238 (1-2): 63–75.

Bergman, Ingela, Olle Zackrisson, and Lars Liedgren. 2013. “From Hunting to Herding: Land Use, Ecosystem Processes, and Social Transformation among Sami AD 800–1500.” Arctic Anthropology 50 (2): 25–39.

Dwyer, M. J., and K. V. Istomin. 2008. “Theories of Nomadic Movement: A New Theoretical Approach for Understanding the Movement Decisions of Nenets and Komi Reindeer Herders.” Human Ecology 36 (4): 521–33. 

Ingold, Tim. 1980. Hunters, Pastoralists, and Ranchers: Reindeer Economies and Their Transformations. Cambridge University Press Cambridge. 

Krupnik, Igor. 1993. Arctic Adaptations : Native Whalers and Reindeer Herders of Northern Eurasia. Expanded English. Arctic Visions. Hanover, NH: University Press of New England for Dartmouth College.

Rascvetaev, M.K. 1933. Tungusy Miamial’skogo Roda. Social’no-Èkonomicheskii Ocherk S Prilozheniem Tungusskih Biudzhetov. Leningrad: Izdatel’stvo akademii nauk SSSR.

Sommerseth, Ingrid. 2011. “Archaeology and the Debate on the Transition from Reindeer Hunting to Pastoralism.” 

Stépanoff, Charles. 2012. “Human-Animal ‘joint Commitment’ in a Reindeer Herding System.” Hau. Journal of Ethnographic Theory 2 (2): 287–312.

2 commentaires:

  1. Bonjour Monsieur
    La transition globale d’économies de subsistance dominées par la chasse-collecte vers des économies pastorales dominées par l’élevage de rennes ne peut-elle pas aussi être comprise comme le propose Philippe Descola comme une ontologie animique qui devient une ontologie Analogique? PLus généralement dans quelle mesure les récents travaux en anthropologie sociale de Philippe Descola peut elle ou pas aider à mieux analyser les transitions culturelles en Asie centrale?

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    1. Bonjour,
      Oui bien sûr l'analyse de Philippe Descola selon laquelle le développement du pastoralisme correspond à une transition de l’animisme donateur à l’analogisme protecteur soulève de façon cruciale les enjeux de la domestication en Asie du nord. Selon Descola, "les transformations dans les distributions ontologiques sont la cause plutôt que l’effet d’innovations techniques qui renforcent en retour l’emprise des nouveaux rapports sur les pratiques." (Par delà nature et culture). Les approches ontologiques placent généralement au centre des modèles explicatifs les représentations mentales des humains sur les animaux et sur l'environnement.Notre approche est différente en ce que nous ne traitons les représentations humaines que comme l'un des facteurs intervenant dans cette co-évolution complexe qu'est la domestication, où figurent également la cognition et les désirs des animaux.

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